Rencontre avec Chatila

16 septembre 2002, je suis dans un groupe d’Européens venus participer à la commémoration 20 ans après les massacres de Sabra et Chatila. Manifestation bruyante et plutôt bon enfant qui aboutit dans le Mémorial, petit champ clos avec quelques panneaux d’images des massacres. Nous sommes là peut-être un millier de personnes, il y a des prises de paroles, la nuit commence à tomber et c’est petit à petit que je réalise que nous sommes en train de piétiner le lieu même où sont inhumées les victimes. Là commence ma relation avec le camp de Chatila et ses habitants.
Jean-Yves Boiffier.

16th september 2002, I am with a group of European people who came for the 20th commemoration of Sabra and Shatila massacre. It is at the same time a noisy and peacefull demonstration arriving in the Memorial, a small closed field with some pannels showing images of massacre. Maybe we are here a thousand of people, there are some speeches, night begins to fall and, step by step, I realize that we are standing on the true place where the victims bodies are buried. That the beginning of my relationchip with Shatila camp and its inhabitants.
Jean-Yves Boiffier

jeudi 3 janvier 2013

Un texte très intéressant qui a été envoyé par l'ami Jean-Claude Garrandeau, 

merci à toi, Jean-Caude ! (D.P.)

 

Aux origines idéologiques de l’État d’Israël

Par Dominique Vidal
Aux origines idéologiques de l’État d’Israël
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L’historien israélien Schlomo Sand, qui avait défrayé la chronique en 2008 avec son ouvrage Comment le peuple juif fut inventé, publie Comment la Terre d’Israël fut inventée.
Qu’une chose, d’emblée, soit claire. Shlomo Sand est israélien. Et il tient à son État, né de la rencontre entre un mouvement, le sionisme, jusque-là minoritaire parmi les juifs eux-mêmes, et la catastrophe que fut – c’est le sens de ce mot en hébreu – la Shoah. Au point même de refuser aux Palestiniens le droit d’y retourner… Bref, le procès en sorcellerie que lui font les amis autoproclamés de l’État juif est, comme souvent, sans fondement.

Ce que ces derniers lui reprochent, en réalité, c’est de s’être attelé à la déconstruction des mythes-clés de l’historiographie sioniste. Avec courage et persévérance : Comment la terre d’Israël fut inventée (1), qui vient de paraître, constitue le deuxième volet d’une trilogie.
Le premier, intitulé Comment le peuple juif fut inventé (2), publié en 2008, est devenu un best-seller et a suscité de vifs débats.

Et pour cause : professeur d’histoire contemporaine à l’université de Tel-Aviv, l’auteur y mettait en pièces l’idée reçue selon laquelle les Juifs du XXIe siècle se­raient les descendants « ethniques » des Hébreux exilés de Palestine par les Ro­mains. Non seulement cette expulsion n’a jamais eu lieu, démontrait Sand, mais le considérable développement démographique du judaïsme durant les premiers siècles de notre ère résultait, pour l’essentiel, de conversions de masse à la religion mosaïque.

idée reçue


Avec le second volet qu’il vient de publier, l’historien s’attaque à une autre idée reçue : cette diaspora aurait un droit sur « sa » terre présentée comme originelle, où les juifs auraient de tout temps voulu se rassembler. Il n’en est rien, répond Shlomo Sand, qui, documents à l’appui, montre que la notion même de « Terre d’Israël » (Eretz Israël) n’apparaît pas – dans les textes juifs sacrés et, plus largement, dans la pensée juive – avant l’avènement, au XIXe siècle, du sionisme proprement dit.

Ce dernier, ajoute-t-il, fut une invention chrétienne au moins autant que juive, à l’instar d’ailleurs du lobby pro-israélien dans les États-Unis d’aujourd’hui. Et l’historien d’illustrer, en conclusion, comment sionisme et judaïsme s’opposèrent longtemps jusqu’à leurs « retrouvailles » après 1967, lorsqu’Israël de­vint le « Grand Israël »…

patries

Au passage, l’auteur développe ici la réflexion qu’il avait entamée entre ses deux livres, dans sa préface à la réédition de deux discours prononcés par Ernest Renan, respectivement en 1882 et 1883 : « Qu’est-ce qu’une nation ? » et « Du peuple juif comme race et comme religion » (3). Le philosophe, on le sait, concluait : « L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh !, je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. »

Sand montre, dans le premier chapitre de son nouveau livre, comment l’humanité au fil des siècles a – très lentement – « fabriqué » des patries.

La boucle est bouclée, pour le plus grand plaisir du lecteur qui, même familier de cette histoire idéologique, en découvre ici toute la complexité. J’évoque le « plaisir » de lire ce nouvel opus, car l’érudition de Shlomo Sand s’exprime dans une langue accessible autant qu’agréable.

grave question

On attend donc avec impatience le troisième volet du triptyque, qui portera sur l’« identité juive ». Après nous avoir montré ce qu’elle n’est pas, l’historien « planchera » sur ce quelle est. Car là se trouve d’évidence l’indispensable suite de cette entreprise iconoclaste : expliquer comment un peuple qui n’en est pas un a pu croire à un État créé sur une Terre qui n’est pas la sienne, permettant ainsi au sionisme de donner corps à Israël…

En attendant, au terme de ce deuxième livre, Sand conclut : « Les Israéliens juifs seront-ils capables, au nom de leur avenir au Moyen-Orient, de redéfinir leur souveraineté et, en conséquence, de modifier leur rapport à ce lieu, à son histoire et particulièrement à ceux qui en ont été déracinés ? L’historien ne sait pas répondre à cette grave question ; il devra se contenter d’espérer que ce livre ap­portera une contribution, fût-elle mo­des­te, au commencement du changement. » 

(1) Flammarion, Paris, 2012, 366 p., 22,50 €.

(2) Fayard, Paris, 2008, disponible désormais en livre de poche chez Flammarion..


(3) De la nation et du peuple juif chez Renan,  Shlomo Sand, Les liens qui libèrent, Paris, 2009.